Ses études achevées, mon père accompli son service militaire. Ce sera à Etterbeek. Il sera affecté à l'administration mais l'action lui manquant, il accomplira aussi une partie de ses obligations dans les commandos (Pas les paras). Il en tirera toujours une fièrté certaine.
Il va croiser ensuite son histoire d'amour, rencontré ma mère et fondé un foyer.
Leur premier domicile sera à Mons puis mon père suite au fameux gouvernement Harmel se retrouvera sans emploi dans l'officiel et devra chercher son salaire dans le réseau "de l'ennemi" (on est en pleine guerre scolaire), le libre spécialisé.
Ils éliront alors domicile à Péruwelz.
Wodecq, n'est jamais loin, mon père a dans ses relations l'inspecteur de français Cotton, il est ami avec ses enfants et notre homme va jouer le rôle de mentor et de protecteur. Si mon père parlait souvent de Monsieur Ruel comme référence, l'inspecteur Coton en était une autre.
C'est grâce à lui et ses relations qu'après le coup d'Harmel, mon père trouva de quoi gagner sa croûte.
La rencontre du public des élèves caractériels de l'enseignement spécial semble avoir été pour lui un choc, il me décrivait cela comme une expérience où il tenta d'abord de tenir au jour le jour, puis finit par s'adapter. Il déclarait que ce qui lui avait permis de faire sa place à Roucourt était le fait qu'il avait été dans les commandos et était capable de pratiquer des techniques de combat.
Robert Rivière
J'entends encore quelques récits épiques où il fit une prise à un premier, étrangla un deuxième, sauta par dessus une table dans le sens de la longueur pour rejoindre un troisième et lui ouvrir l'arcade sourcilière le temps d'une manchette. Il semble que ces différentes interventions "éducatives" lui forgèrent une réputation d'homme fort et redouté.
C'est également l'époque où ces types de structures encore naissantes, fortes des bonnes pratiques de l'Abbaye d'Aulnes, allaient chercher des anciens militaires, commandos, légionnaires, fusillés marins, ... pour encadrer leurs ouailles. Pascal le Grand Frère aurait apprécié !
Je me suis souvent demandé pourquoi mon père n'avait pas fait carrière dans l'armée. D'autant qu'il avait hésité. Il avait fini son service militaire avec un grade d'officier et avait longuement hésité à rempiler car il aurait gagné à peu près la même chose qu'en tant qu'enseignant. La seule différence, étant les possibilités de promotions car il ne sortait pas de l'école militaire.
Une place disponible à l'école moyenne de Flobecq avait fait la différence.
Notre baroudeur ayant maintenant forgé sa réputation au sein de l'institut du Foyer de Roucourt, il va pouvoir consacrer son énergie plus à enseigner l'ABC plutôt qu'à jouer aux SAS. Au lieu de corriger les délinquants en faute, il allait leur apprendre à corriger leurs fautes ! Démarche quasi évangélique !
Comment décrire ce rapport ambivalent que va entretenir mon père avec son lieu de travail ?
Vous avez dû deviner qu'il était plus ce qu'on nomme un intellectuel qu'un manuel. Non que je place l'un ou l'autre sur une balance car que vaut le professeur de français sans son collègue électricien, orthiculteur, menuisier, garagiste ? Rien le jour un court circuit, une branche d'arbre, un chassis de fenêtre ou un embrayage frappe au dépourvu. Mais d'un autre côté quelle épreuve lorsqu'un de ces derniers doit s'adonner par nécessité administrative à l'exercice complexe d'un diplôme d'aptitude à l'enseignement, au dépôt d'un travail de fin d'étude, un enfant qui butte sur l'apprentissage de la lecture, une dissertation nébuleuse, ... ! Il s'était donc créé une sorte d'entraide fraternelle entre ces différents spécialistes, chacuns en leur domaine. Les uns et les autres se donnant divers coups de mains.
Les rapports avec la hiérarchie furent plus tumultueux, à l'image du petit monde décrit par Giovanni GUARESCHI plus connu dans sa version mise sur pellicule.
D'un côté un enseignant sorti de l'officiel (on l'appelait en ce temps là, l'homme de l'officiel) fort de ses convictions pédagogiques, de l'autre une bande de chrétiens idéalistes et militants. Evidemment, du côté des idéologies, les rôles sont plutôt inversés mais pour ce qui concerne les épisodes de l'histoire, c'est aussi haut en couleurs ! Mon père, voyant rouge, trouvant, par exemple, opportun de fonder un syndicat de la même couleur en ces murs plutôt tintés de jaune, ce qui fit rire, sans doute de la même couleur.
Néanmoins, comme Péponne et Camillo, le directeur et mon père, même adversaires savaient se rappeler, à leurs heures, qu'ils étaient aussi quasi amis. Par exemple, le temps d'un discours célébrant son directeur, son oeuvre, ... puis retournant sur le ring pour l'achat d'un peu de matériel scolaire qui soit au format papier ou informatique et non de murs, de tables ou de chaises.
En définitive, il s'y plaisait mon père dans ce Foyer de Roucourt. Ces conflits du quotidien lui donnaient les étincelles qui faisaient tourner le moteur de ses motivations professionnelles et philosophiques.
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